A propos de moi
J'ai fait des études d'informatique et suis devenu ensuite professeur des écoles en Segpa pendant 15 ans. Je suis maintenant en disponibilité. Je me suis lancé dans la création de jeux de sociétés en 2012, et suis devenu auteur de jeux à plein temps en 2023.
Mon père faisait du jeu de rôle dans sa jeunesse (Tunnels & Trolls que je lui ai piqué d'ailleurs) et on jouait beaucoup en famille quand j'étais petit. Je ne me suis jamais vraiment arrêté depuis de jouer, et puis un jour je me suis dit que ça serait cool de se lancer dans la création. Et je m'y suis régalé.
J'ai commencé la création par un jeu de rôle en ligne en 2006 - Glenwood Spring - avec plus de 2500 inscrits. Et puis je me suis lancé dans le jeu de société, que j'affectionne depuis mon enfance.
ETRE AUTEUR DE JEUX
On me demande très souvent, la famille, mes amis, si mon activité fonctionne bien, si être auteur de jeux ça rapporte, si c'est enrichissant, si je me régale dans ma nouvelle vie. Oui. Mais cela ne m'exempte pas de questionnements, doutes et inquiétudes.
1) La question financière
La première chose à savoir, c'est qu’entre l’idée d’un jeu et les sous sur le compte en banque, il se passe en général entre 2 et 7 ans. Parce que pour l’instant, mais c’est en train d’évoluer, l’avance sur droits donnée par les éditeurs est vraiment minimale (entre 500 et 2000€). Donc pour savoir si financièrement ca va, ma réponse est toujours : oui, parce que j’ai bien bossé il y a 5 ans. Maintenant, je travaille pour la suite. Je n’ai AUCUNE idée de combien je vais gagner l’année prochaine, et encore moins dans 3, 5, 10 ans. La retraite est dans 25 ans, ca fait un peu peur : est-ce que je vais tenir jusque là ?Ce qui étonne les gens, c'est le pourcentage de la part de l'auteur par rapport au prix de vente d'un jeu. Souvent quand je m'amuse à demander, on tourne entre 5 et 10€ pour un jeu à 30€. Or, Alexis Allard a fait une simplification qui fonctionne plutôt bien, après toutes les charges (retraites, Urssaf, impôts) il s'agit en fait de 0,60€. Et comme on fait souvent des jeux en co-auteurat, ca tourne autour de 0,30€, soit 1% du prix de vente.
Si on veut un salaire décent, je prends en référence mon salaire de jeune prof, gagner autour de 20.000€ par an net impliquerait de vendre (au choix) : - 60.000 jeux à 30€ - 100.000 jeux à 20€ - 200.000 jeux à 10€ A savoir que sur les 25 jeux que j'ai publié à ce jour, seul La Planche des Pirates a dépassé les 100.000 boites.
Donc, pour en vivre, il faut : - soit avoir plusieurs jeux en ventes en simultané - soit avoir un jeu à succès Et on en vient donc à la partie suivante : y-a-t-il trop de jeux ?
2) Le marché en 2024
Oui, il y a trop de jeux. Mais d’un autre côté, je n’aime vraiment pas faire ce constat. Parce que pour moi, le jeu est culturel, qu’il est important. Et que quand il s’agit d’une oeuvre d’artiste (oui, je nous défends en tant qu’artistes), alors il ne peut pas y avoir trop de jeux. On n’a pas le droit de priver les gens de culture, on n’a pas le droit de priver les gens de créer. Quand on est un créatif, créer, c’est viscéral. C’est un besoin. C’est vital.Peut-être que je suis traumatisé par la lecture de l’excellent Farenheit 451, mais dire qu’il y a trop de jeux revient pour moi à dire qu’il faut censurer d’une manière ou d’une autre les artistes, et je me battrai pour que cela n’arrive jamais.
Et pourtant, oui, il y a trop de jeux. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas que des artistes, il n’y a pas que des créatifs. Il y a aussi des gens qui ont bien compris, depuis le covid surtout, que le marché du jeu était lucratif, et que faire un jeu ce n’est pas si compliqué. De l’argent facile. On se retrouve avec des copies ignobles de jeux satiriques (Cards Against Humanity avait une réelle intention philosophique et sociale), des jeux créés juste pour mettre la tête d’un Youtubeur, quitte à ajouter des questions complètement inappropriées au public cible, ou des jeux injouables, mais qui se vendent parce qu’il y a une licence connue. Et puis aussi des plagiats à demi-teinte de jeux à succès, qui en général peinent à se faire remarquer (ce qui rassure).
Et le pompon, ce sont les nouveaux entrepreneurs qui, blasés d’avoir créé des ebook avec chatGPT lui demande de créer des jeux et d’inonder les éditeurs de mails automatiques. On y reviendra dans le paragraphe suivant.
Pour revenir sur le marché en 2024, la tendance est aux jeux à moins de 30€. Les ventes des jeux initié et expert sont en baisse. Pas parce qu’il y a moins de joueurs, mais parce qu’il y a d’abord une inflation et une crise économique qui font que les dépenses ont baissé de manière générale, peut-être aussi parce que les nouveaux joueurs, ceux qui arrivent depuis le covid et la découverte du Skyjo, ne sont pas (encore?) des gros joueurs. Les boutiques ludiques ont, il me semble, beaucoup plus de facilité à vendre 3 jeux à 20€ qu’un jeu à 60€, le stock se renouvelle plus vite, et il y a moins de risque de perte en cas d’invendus. Les distributeurs et les éditeurs sont frileux. Les auteurs doivent s’adapter.
J’ai un gros jeu, un 4X initié post-apocalyptique, un peu narratif et un peu politique, qui est chez un éditeur depuis plus d’un an. J’attends le retour, mais je n’ai pas beaucoup d’espoir.
Du coup il faut créer du familial, mais il faut innover, créer de nouvelles sensations, de nouvelles mécaniques. Pas facile, la concurrence est rude.
3) La création
Pourquoi est-ce qu’on crée des jeux ? Je vais prendre le point de vue de l’artiste, celui qui veut créer pour transmettre, pas l’entrepreneur, qui créer pour générer des revenus. Même si les artistes sont parfois obligés de créer pour du revenu. On fait alors, quand on peut, des jeux de commande, pour des entreprises par exemple.Créer de l’art, c’est vouloir transmettre des émotions, des sensations, à travers un média. Nous, c’est le jeu.
Et c’est pour cela que l’IA ne me fait pas peur, pour l’instant. Elle me fait peur pour mes nombreuses amies illustratrices et illustrateurs, mais pas pour mes collègues auteurs et autrices. L’IA est capable de compiler plein d’idées et d’en faire un mash-up de règles. Mais la force de notre travail, ce sont les sensations. Est-ce qu’on ressent plus de pression quand il n’y a que 3 cases sur le plateau, ou plutôt 4 ? Est-ce que le joueur aura assez de choix avec 3 actions disponibles à chaque tour ? Est-ce qu’il n’en aura pas trop s’il y a 6 actions ? Le scoring du jeu est-il équilibré ? Quand on gagne, on a le ressenti d’avoir bien joué ?
Pourquoi Skyjo marche aussi bien ? Parce que si je gagne, j’ai vraiment trop bien joué. Si je perds, le jeu a vraiment été méchant avec moi. Attendez, on refait une partie je vous montre.
Il n’est pas rare de créer un jeu qui mécaniquement fonctionne, mais dont le ressenti ne correspond pas du tout à ce que l’on avait imaginé. A nous de travailler pour arriver à transformer l’expérience des joueurs en quelque chose de génial.
Et pour arriver à cela, il faut… du travail. De l’expérience ? Du talent ? De la chance ?
Il n’y a pas d’études pour devenir auteur ou autrice de jeu. On le devient parce qu’on le veut, parce qu’on en a envie, besoin souvent. Et on se heurte aux écueils des créatifs.
Le pire c’est le syndrome de l’imposteur. C’est douter de ses compétences, de ses réalisations ou de sa légitimité : "Je ne mérite pas ma place." "J'ai juste eu de la chance." "Les autres sont bien meilleurs que moi." "Un jour, on va découvrir que je ne suis pas à la hauteur."
Voilà. Un bon résumé de pensées qui me traversent l’esprit quotidiennement.
Parfois en plaisantant avec les copains Kévin, Johan et Fred on se disait qu’on avait des objectifs de majorité, et on jouait pour savoir qui « gagnait ». Celui qui a vendu le plus de jeu. Celui qui est le plus reconnu dans le monde pro. Celui qui a gagné le plus de prix ludiques. Bien entendu, aucun d’entre nous n’avait jamais plusieurs majorités en même temps (comme dans un bon jeu équilibré). D’un côté c’était cool parce qu’on se disait qu’on était tous dans la même galère, mais à des niveaux différents. De l’autre, on rit un peu jaune parce que… ben on est tous dans la même galère.
7 Wonders. Trio. Colt Express. Splendor. Unlock. Quand on voit l’ampleur de ces succès on se dit que nous, à côté, on est nuls. Que nos jeux ne devraient peut-être pas exister ? Que s’il y a trop de jeux, c’est aussi à cause de nous ?
Pour me rassurer, je vais en boutique de jeu. Je regarde les rayons. Et quand ces succès me font douter, je vois le nombre de ventes de Monopoly, Limite Limite et autres bien pires, et je me dit qu’en fait mes jeux ne sont pas si pires. Si 1% des gens qui achètent ces jeux se disaient que les miens ont l’air pas si mal, ca m’irait bien. J’ai un peu cette chance avec La Planche des Pirates.
Sauf qu’il faut passer outre ce doute, et créer. Quand on est auteur pro, il faut créer. Et c’est un problème pour moi.
Que mon besoin de créer soit parfois ressenti comme un devoir de créer. Pas pour qu’il y a plus de jeux et de nouveautés, mais parce qu’il faut bien que je gagne de l’argent dans les prochaines années… Est-ce que je ne participe pas à ce qu’il y ait trop de jeux ? Est-ce que tous mes jeux méritent d’exister ?
Et donc il m’arrive d’avoir des périodes « creuses » entre plusieurs projets, où je « devrais » créer, mais… c’est la page blanche. Et elle me terrifie, cette page blanche. Si je ne crée pas aujourd’hui, pourrais-je continuer mon activité dans 3 ans ? Aucune idée. Il me reste 25 ans avant la retraite, et je ne sais pas si mon activité est assez stable pour tenir encore 3 ans.
5) Le co-auteurat et les groupements ludiques
Le monde du jeu est encore relativement restreint, et plutôt bienveillant de manière générale. Le conseil que je donne très souvent aux nouveaux auteurs et autrices, c’est de se rapprocher du groupement d’auteurs ludiques le plus proche d’eux. Dans tous ces rassemblements, il y a des auteurs et autrices édités, qui ont des contacts avec les éditeurs. Mais surtout il y a des gens motivés, avec de l’expérience, qui sauront faire de bons retours. Si le jeu est génial et terminé, ils vous donneront le contact d’éditeurs. Si vous avez besoin d’aide, ils sauront vous guider. Si vous vous sentez dépassé par la quantité de travail ou en manque d’inspiration pour continuer, vous trouverez des co-auteurs ou des co-autrices. En aucun cas on ne vous volera votre idée. Parce que les autres membres du groupement s’en rendraient rapidement compte…Travailler avec des co-auteurs et des co-autrices c’est une chance. C’est diviser ses revenus par deux au final, mais accélérer ses processus de création, avec du lien social.
Parce que oui, être auteur pro, c’est passer 80% de son temps tout seul dans son bureau. Pour un travail dans le jeu de « société » c’est un peu paradoxal. Heureusement qu’il y a les copains et les copines pour s’appeler, faire des visio, et puis… il y a les festivals !
6) Les festivals, les démonstrations
On nous demande souvent de venir faire des dédicaces et des démonstrations de nos jeux en festival et en boutiques. On n’est quasiment jamais payé pour le faire. Dans le meilleur des cas, on est nourri et logé. Mais parfois, on se sent redevables.Et heureusement, très souvent, on se régale. L’ambiance est toujours géniale, les gens accueillants. Mais il faut se limiter. Je me limite à un week-end par mois, ce qui est déjà beaucoup. Et quand on me demande de venir sur un petit festival de personnes motivées pour leur association, c’est un honneur, un plaisir… mais aussi un refus.
Si au moins (oui, je reviens au financier) on était payé, on pourrait le justifier à nos proches. Mais venir en déplacement sur un festival pour un week-end coûte tellement de temps et de frais, qu’il faudrait vendre trop boîtes en 2 jours pour que ce soit rentable, et même sur les plus grands festivals ca n’arrivera jamais.
Petit calcul : 80€ de trajet (souvent plus) 2 jours sur le festival soit 16h de présence (parfois plus), sur une base de 20€ de l’heure on serait à 320€
400€ de droits d’auteurs, c’est 1000 boîtes à 20€.
Dans le même registre, quand on refuse d’aller sur le festival, et parfois quand on y va, on nous demande des boîtes de nos jeux en cadeau. Mais encore une fois, ce que les gens ne savent pas c’est que… on en a 6. Et si on en veut d’autres et bien on les paye. Si, si. Un jeu à 20€, si je veux en offrir à un festival ou à un instagrammeur, je dois l’acheter à mon éditeur (environ 13€). Mais ca va, parce que je regagne 0,40€ de droits quelques mois plus tard sur mon achat.
Mais on n'enlèvera pas que les Festivals, c'est la vie ! C'est le lien social, c'est des centaines de bénévoles généreux et admirables. Et ca, ca ne se calcule pas. Merci à eux et à elles !!!